Le Dialogus de Hercule de Marko Marulić et sa dédicace érasmophile

Le Dialogus de Hercule de Marko Marulić et sa dédicace érasmophile. Peut-on dire, et dans quel sens, que Marulić était érasmien ?

L’éloge d’Érasme de Rotterdam que Marko Marulić avait inclus dans la dédicace
du Dialogus de Hercule (1520) a été traditionnellement interprété comme une marque d’« érasmisme » qu’il a fallu censurer en 1524 par peur de la répression ecclésiastique. En considérant le contexte exact de 1520 où Érasme jouissait d’une admiration et d’une autorité sans égales, il est possible de montrer que l’éloge de Marulić est anodin et ne révèle pas nécessairement une approbation des nouveautés de la doctrine religieuse d’Érasme. Bien que la situation de 1524 soit beaucoup plus délicate pour Érasme à cause de l’apparition de Luther, il ne subit aucune condamnation de la part de Rome ni d’aucune université. La censure de la dédicace en 1524 doit donc avoir une autre cause que la peur de la répression, et c’est probablement une divergence doctrinale avec Érasme maintenant que son orthodoxie est mise en question. En ce sens, la dédicace érasmophile de Marulić ne montrerait pas l’érasmisme du Croate, mais l’existence d’une réception parfaitement orthodoxe d’Érasme jusqu’à la crise luthérienne. Dans une deuxième partie, nous discuterons du sens du Dialogus de Hercule lui-même, qui est une dénonciation des catholiques qui s’occupent de poésie profane. La traduction française du Dialogus clôt cette étude.

In Colloquia Maruliana XXVI, 2017 : article complet ; traduction du Dialogus.

 

Deux études en anglais sur Marulić

Deux études récentes en anglais sur Marulić :

  1. Bratislav Lučin et Franz Posset, Marcus Marulus, in Christian-Muslim Relations A Bibliographical History, Volume 7: Central and Eastern Europe, Asia, Africa and South America, edited by David Thomas and John Chesworth, Brill 2015. https://www.academia.edu/15571401/Marcus_Marulus
  2. Neven Jovanović, Croatian into Latin in 1510: Marko Marulić and the Cultural Translation of Regum Delmatiae atque Croatiae gesta, Canadian Review of Comparative Literature / Revue Canadienne de Littérature Comparée, Vol. 41 No. 4, 2014. https://ejournals.library.ualberta.ca/index.php/crcl/article/view/25783

 

 

In epigrammata priscorum commentarius

Notre ami Bratislav Lučin vient de mettre en ligne sa thèse de doctorat de l’Université de Zagreb, intitulée Jedan model humanističke recepcije klasične antike: In epigrammata priscorum commentarius Marka Marulića (Un modèle de réception de l’antiquité classique : In epigrammata priscorum commentarius de Marko Marulić). Le fichier PDF est disponible directement à cette adresse.

Le thèse est en croate. Nous avons traduit en français le résumé anglais figurant au début du document :

Résumé

Le sujet de cette thèse est l’œuvre de Marulić en latin In epigrammata priscorum commentarius (Commentaire sur les inscriptions des anciens), à ce jour publiée uniquement en partie et pratiquement pas étudiée. L’objet de la thèse est double : analyser la réception de l’antiquité dans cette œuvre et en donner la première édition critique complète. Par un concours de circonstances, cette œuvre d’un humaniste de renommée mondiale n’avait jamais été publiée in extenso auparavant et n’avait ainsi pas pu faire l’objet d’une discussion sérieuse en Croatie et ailleurs, et n’avait par conséquent pas été correctement évaluée.

Dans le Chapitre 1, Introduction et principaux concepts, l’auteur établit deux modèles de base de réception humaniste d’après la théorie de G. A. Kennedy sur la rhétorique ancienne. Dans le premier modèle, l’attention se porte sur les sources anciennes (et l’antiquité est alors la substance de la réception), alors que dans le second modèle le travail de l’écrivain humaniste est dominant (l’héritage ancien apparaît alors comme principe d’organisation, ou comme modèle de style et de genre, et on peut le considérer comme une forme de réception). En écrivant In epigrammata Marulić a eu recours au premier modèle de réception mais d’une manière spéciale : il a choisi d’anciennes inscriptions plutôt que, par exemple, une œuvre de poésie (comme lorsqu’il commente Catulle dans le Codex Trogir de Petronius, Paris. lat. 7989) ou la mythologie (comme lorsqu’il écrit des épigrammes et le Dialogus de Hercule). Dans d’autres ouvrages Marulić résume ou corrige le texte ancien tel que trouvé (commentaire sur Catulle), ou il extrait un grand nombre de textes (dans le Repertorium), ou bien il paraphrase poétiquement un texte choisi (les Métamorphoses d’Ovide en épigrammes), ou alors il s’en approprie la substance par une allégorèse chrétienne (dans le Dialogus de Hercule) ou par une traduction en croate (Utiha nesriće – Consolation dans la détresse) ; mais dans In epigrammata, Marulić collecte et organise des textes anciens « non modifiés » pour les enrichir (et se les approprier) avec ses propres commentaires.

Le Chapitre 2, Collections d’inscriptions anciennes jusqu’à l’époque de Marulić définit l’environnement dans lequel l’œuvre de Marulić paraît ; c’est à la fois une collection épigraphique et un commentaire de texte ancien, ainsi qu’une partie de l’œuvre originale de l’auteur. En tant que collection d’inscriptions, l’œuvre suit la fructueuse tradition humaniste qui consiste à collecter et transcrire les épigraphes anciennes, tradition qui s’est développée dans la péninsule des Apennins (Cyriaque d’Ancône, Giovanni Marcanova, Felice Feliciano, Fra Giovanni Giocondo etc.) et qui a aussi eu des représentants de la première heure sur la côte est de l’Adriatique. En plus de ceux qui sont connus, à savoir Petar Cipiko (Petrus Cepio / Cippicus) et Marin Marinčić (Marinus Marincics), peut-être aussi Juraj Benja (Georgius Begna) et Marin Rastić (Marinus de Restis), et bien sûr Dmine Papalić (Dominicus Papalis) qui collectionnait des monuments lapidaires, l’auteur a relevé un nouveau nom, le contemporain de Marulić Hieronymus Traguriensis (peut-être le même que Jerolim Makarelić ou Hieronymus Macarellus). Après cette première phase de collecte d’inscriptions et de transcription dans de plus gros recueils, un nouveau genre épigraphique est apparu au tournant du 15e et du 16e siècles : la collection d’inscriptions anciennes avec commentaires. Les premiers et, dans la mesure de nos connaissances, les seuls représentants de ce nouveau genre à l’époque de Marulić sont Benedetto Giovio, Andrea Alciato et Girolamo Bologni. Le Commentaire de Marulić s’est inséré dans ce nouvel environnement pratiquement au même moment, et en ce sens il peut être considéré comme un des travaux pionniers de l’épigraphie humaniste. Il est peu probable que Marulić ait connu les travaux de Giovio ou d’Alciato, mais on ne peut exclure qu’il ait connu personnellement le troisième auteur cité : comme la recherche de l’auteur le montre, Girolamo Bologni, secrétaire de l’Archevêque de Split Lorenzo Zane, était ami avec Hieronymus Traguriensis et Hieronymus Spalatensis (peut-être Jerolim Papalić ou Hieronymus Papalis), et avait lu l’Historia Salonitana de l’Archidiacre Thomas. Il n’est donc pas sans fondement de supposer que Bologni et Marulić aient pu se connaître ou aient au moins pu échanger des épigraphes ou autres par lettre. Cette hypothèse reçoit une confirmation additionnelle par les similarités internes entre l’Antiquarius de Bologni et l’In epigrammata de Marulić ; l’étude de l’histoire de l’autographe de Marulić montre en outre qu’il a fort probablement appartenu à la famille Bologni à Trévise au début du 17e siècle.

Le Chapitre 3, Manuscrits, éditions et histoire des recherches décrit et analyse l’autographe O (Bibliotheca Bodleiana, Oxford, MS. Add. A. 25, olim 28398 [591])et deux transcriptions complètes : G (University Library, Glasgow, Hunter 334, U. 8. 2) and V (Biblioteca Marciana, Venise, Lat. XIV. 112 [=4283]). En plus de ces trois manuscrits complets, il existe cinq copies partielles qui contiennent des fragments plus ou moins étendus d’In epigrammata. L’auteur établit les relations entre ces manuscrits et en dresse le stemma codicum tout en apportant de nouvelles données sur l’histoire de la réception d’In epigrammata, surtout en ce qui a trait à ses débuts. Par exemple, il montre que Bartolomeo Burchelati de Trévise a cité dès 1616 des inscriptions d’In epigrammata et s’est référé aux commentaires de Marulić (dans le livre Commentariorum memorabilium multiplicis historiae Tarvicinae locuples promptuarium, libris quatuor distributum) ; le premier fragment d’un paratexte (avec une petite sélection d’inscriptions) a été imprimé par Jacob Spon en 1685 (Miscellanea eruditae antiquitatis) – presque cent ans avant la plus ancienne édition partielle du texte de Marulić précédemment connue (G. B. Mittarelli, Bibliotheca codicum manuscriptorum monasterii S. Michaelis Venetiarum, 1779).

Le Chapitre 4, Un aperçu d’In epigrammata fournit une confirmation additionnelle à la conclusion de la littérature (Novaković 1997) affirmant que l’œuvre a été écrite entre 1503 et 1510, puis analyse les motifs de sa création : il y a la requête de son ami et concitoyen Dmine Papalić, détenteur d’une collection d’inscriptions lapidaires, à qui l’œuvre est dédiée, mais il ne faut pas exclure comme motif l’intérêt personnel de Marulić pour l’antiquité, très probablement dû à son éducation humaniste et à sa lecture des anciens auteurs, conjointement avec sa fierté locale et la proximité des ruines de l’ancienne Solin (Salona). La manière d’appréhender l’héritage antique dans cette œuvre est définie par Marulić dans sa dédicace à Dmine Papalić. Une analyse détaillée menée dans les chapitres 7.5, 7.6, 8 et 9 confirme que Marulić a effectivement livré tout ce qu’il annonçait dans la dédicace. Il a choisi les inscriptions pour la valeur exemplaire et parfois esthétique de leurs contenus ; il a soigneusement organisé l’ensemble de l’ouvrage et a systématiquement arrangé les inscriptions selon le critère topographique : après la dédicace (section I), il y a une collection d’inscriptions romaines (II) puis « étrangères » (III), c’est-à-dire qui ne sont ni romaines ni de Solin. Une introduction précède le groupe des inscriptions de Solin (IV), où se trouvent des références à l’histoire de l’ancienne cité, puis une description élogieuse du palais de Dioclétien. Vient ensuite la Peroratio (V) qui termine l’œuvre selon le plan original. Par la suite a été ajouté un groupe Salonis postea repertum (VI). In epigrammata devait initialement contenir130 inscriptions (II : 36 ; III : 76 ; V : 18) mais le compte final est monté à 141 (VI : 11).

Marulić a commenté les inscriptions suivant un plan déterminé. Il a donné en premier le nom du lieu et le texte de l’inscription puis son propre commentaire. Il a plus ou moins cherché le même arrangement régulier dans les commentaires : il a d’abord donné une lecture de l’inscription et développé les abréviations ; il a ensuite expliqué les passages plus difficiles, les mots moins connus, les questions de grammaire, les faits de l’antiquité, et a souvent ajouté quelques commentaires de nature morale. Une certaine irrégularité peut toutefois être observée dans les commentaires, que l’on peut expliquer par les différences entre les textes primaires et en général par le manque d’uniformité dans le commentaire humaniste, un genre qui était à l’époque insuffisamment défini méthodologiquement. Le plan est perturbé dans les parties du texte concernant le destinataire ou l’histoire et la topographie locales. Ainsi la section originale sur Solin (sans Salonis postea repertum) est très différente du reste : un commentaire moral y apparaît en un seul endroit, et le contenu sur l’antiquité prend largement le dessus. Marulić, en écrivant In epigrammata, organise et commente la matière épigraphique ancienne pour que le destinataire (incarné dans Dmine Papalić) s’instruise dans la connaissance de l’antiquité, qu’il porte son attention sur les accomplissements éthiques et les erreurs de l’antiquité surtout en contraste avec la conception chrétienne du monde, et aussi pour adresser des éloges dans deux directions – le destinataire pour ses vertus militaires et son intérêt envers l’antiquité, et le sol natal à cause de la « célébrité du sol paternel », le « charme du lieu » et la beauté monumentale de l’ancienne architecture.

Le plus grand défi philologique dans l’étude d’In epigrammata était la recherche des sources primaires et secondaires. Dans le Chapitre 5, Les sources des inscriptions, l’auteur a identifié deux sources principales des textes épigraphiques de Marulić. Premièrement, Marulić copia les inscriptions de Solin directement sur les pierres originales de la collection Papalić (il existe encore aujourd’hui dix pierres de cette collection – la dixième inscription originale ayant été trouvée dans le cadre de cette recherche). Deuxièmement, pour toutes les autres inscriptions (de Rome et d’autres sites en Italie et le long de la côte adriatique), Marulić en a tiré la plupart d’une collection manuscrite appartenant aujourd’hui à la Bibliothèque Ambrosienne à Milan. L’attention de l’auteur a été attirée vers ce manuscrit par les notes de Theodor Mommsen dans CIL III et l’étude de Liliana Montevecchi (1937). Un coup d’œil à la partie concernée (ff. 70-86v) du manuscrit (Codex Ambrosianus C. 61 inf.) a confirmé que Marulić y releva au moins 88 textes épigraphiques pour ses groupes Romae et Externa. Ce livret ambrosien (A), relié plus tard en un volume plus gros, semble avoir été écrit par trois mains. L’identité des scribes ne peut toutefois pas être déterminée. Il est cependant certain que l’un d’entre eux a copié des inscriptions du lapidarium de Papalić à Split, avant même Marulić. Malgré cette découverte, on ne sait toujours pas de quelle source Marulić a tiré au moins 17 des inscriptions de la collection Romae et Externa. Il faut donc conclure qu’il y a eu au moins une autre source. L’identité d’« un certain moine italien » à qui l’érudit de Split a emprunté la 37e inscription de sa collection est aussi inconnu (« Cuius ego exemplum ab Italo quodam monaco nuper accepi », In epigrammata 36,5).

Le Chapitre 6, Source des commentaires et paratextes concerne les sources secondaires de Marulić. In epigrammata se réfère nommément à 35 auteurs, la plupart de l’antiquité ; ceci avait déjà été déterminé par Novaković qui avait découvert l’autographe (Novaković 1997). Il semblait donc que l’identification des citations, la définition d’une liste des sources et l’analyse de la façon dont Marulić les a utilisées eût été une affaire de routine. Il est cependant apparu qu’une quantité d’information relativement faible a été tirée des travaux de ces auteurs mentionnés par leurs noms : ils ne furent pas la source de la plupart des commentaires de Marulić (le développement des abréviations, l’explication du sens de certains mots, l’étymologie, l’information sur la mythologie et les antiquités gouvernementales et religieuses, etc.). Seule une étude attentive des commentaires eux-mêmes et des pratiques des contemporains de Marulić en matière de commentaires a amené l’auteur à comparer les commentaires d’In epigrammata avec les dictionnaires et compendia humanistes. De fait, ils se sont avérés être les aides favorites de Marulić, et il y a puisé abondamment. Il a ainsi été montré que Marulić a utilisé, en plus des sources explicites, un nombre de sources implicites jamais citées. Parmi elles le Cornu copiae de Niccolò Perotti, conçu comme un commentaire des épigrammes de Martial mais en réalité un dictionnaire encyclopédique du latin (identifié comme source de Marulić 52 fois) est particulièrement important ; viennent ensuite le petit traité de Pomponio Leto De magistratibus. De sacerdotiis. De legibus (28), les dictionnaires de Giovanni Tortelli Commentariorum grammaticorum de orthographia dictionum e Graecis tractarum libri (17) et de Giuniano Maio De priscorum proprietate verborum (12) ainsi que quelques autres manuels semblables du 15e siècle : Pseudo-Fenestella, De magistratibus Romanorum ; Maffeo Vegio, Vocabula ex iure civili excerpta (De verborum significatione) ; la lettre de Bartolomeo della Fonte à Francesco Sassetti connue sous le titre De ponderibus et mensuris. Tous ou presque tous ces ouvrages se trouvent dans la liste des livres du testament de Marulić ; certains éléments de cette liste ont été identifié pour la première fois, ce qui constitue un progrès important pour la philologie marulienne. Il est expliqué dans ce travail que ce genre d’utilisation tacite de sources contemporaines n’est pas spécifique à Marulić ; c’est au contraire une pratique très confirmée des humanistes. Les procédures de compilation, de résumé et de refonte du texte initial, c’est-à-dire d’ajustement des sources à un nouveau contexte, sont montrées dans le Chapitre 6.4, L’attitude de Marulić envers les sources et dans la Table 6.2.4, Comparaison d’In epigrammata avec les sources humanistes. Ces procédures sont semblables à celles de ses contemporains ; on peut en outre trouver des adaptations similaires ailleurs chez Marulić, particulièrement dans le Repertorium (cf. Novaković 1998) et dans les commentaires de Catulle (cf. Lučin 2007a).

Une fois cette identification des sources primaires et secondaires accomplie, il a été possible d’analyser leur utilisation et d’étudier de manière générale la structure et le contenu des commentaires de Marulić. C’est le sujet du Chapitre 7, Les commentaires de Marulić : genre, structure, contenu. En ce qui concerne la structure et le contenu, l’auteur a établi que le Commentaire de Marulić appartient à la catégorie des commentaires courts et succints, car il ne vise ni à une portée encyclopédique, ni à de longs détours, ni à montrer l’éloquence et la science de l’auteur (les rares exceptions à cette règle sont les eulogies à Papalić et à la patrie, et la péroraison mise rhétoriquement en avant). Pour ces raisons, la procédure de Marulić dans ses commentaires peut être reliée à l’officia commentatoris présentée par saint Jérôme dans ses commentaires bibliques.

Malgré les inégalités et même les inconsistances, il est possible d’identifier dans le Commentaire la tendance à établir une modèle récurrent dans les commentaires : en principe, après le commentaire épigraphique au sens strict viennent les commentaires philologiques et les explications des faits de la vie romaine, puis les observations morales. Il y a clairement une conscience de l’unité de l’œuvre et une tentative d’articuler clairement ses composants, d’orienter le lecteur dans la masse d’informations : c’est à cela que servent les nombreuses remarques métatextuelles qui apparaissent aux frontières des parties principales en tant qu’éléments anaphoriques et cataphoriques (ou « jointures ») et ailleurs dans le texte en tant que pointeurs vers des endroits plus ou moins distants où un sujet similaire est discuté (« références croisées »). Mis en ordre de fréquence, les commentaires épigraphiques au sens strict viennent en premier, c’est-à-dire les lectures du texte des inscriptions (91 inscriptions), puis les commentaires sur divers faits du monde antique (78), la moralité (66) et la philologie (42), des explications sur pourquoi le monument a été érigé (32), des paraphrases (20) et des détours (7). La prépondérance des commentaires factuels sur les commentaires moralistes relativise l’impression avancée dans la littérature plus ancienne, à savoir que chez « Marulić la tendance morale est plus pressante que l’antiquaire » (Šrepel 1901a: 178) ; et ceci est encore plus évident lorsque tous les commentaires « non-moralistes » sont pris ensemble. Si l’on considère l’œuvre en entier, c’est-à-dire si l’on prend en considération les inscriptions, les commentaires et les paratextes, il apparaît que son intention de base est double, à la fois antiquaire et moraliste, la prédominance de l’un ou l’autre élément changeant selon les parties diverses des textes. L’absence de composante moralisatrice dans les commentaires des inscriptions de Solin est particulièrement remarquable, alors que la péroraison, qui a une place prédominante dans la composition, est pleine de leçons morales au style rhétorique et d’exhortations à une vie en harmonie avec la conception chrétienne du monde. Comme épigraphiste, Marulić ne cherche pas à composer une collection avec autant d’inscriptions que possible. Il met plutôt l’emphase sur le choix des matériaux et leur classification : il ne reproduit que des inscriptions païennes, étant par là plus consistant que la plupart de ses contemporains (la seule exception est l’inscription no 120 probablement due à la mention de la communauté chrétienne de Solin). La sélection selon le critère de qualité de style et de distribution topographique des inscriptions était à l’époque des nouveaux critères épigraphiques, rencontrés pour la première fois chez Giocondo et Alciato, au tournant des 15e et 16e siècles. Comme la plupart de ses contemporains, Marulić ne se préoccupe pas des fins de ligne, ne distingue pas les fausses inscriptions des authentiques, et développe les abréviations avec un succès mitigé.

L’analyse des aspects purement philologiques de son travail a montré un intérêt certain et une compétence au moins partielle en ce domaine : Marulić introduit des corrections implicites et parfois même explicites dans les textes des inscriptions et des commentaires sur l’utilisation du latin de son temps par rapport à celui de l’antiquité. Mais à cause de sa connaissance visiblement rudimentaire du grec, en dépit de ses efforts et de sa consultation des manuels, il y a des erreurs dans la compréhension du texte grec et même dans la transcription de mots individuels dans l’alphabet grec. Marulić rassemble des données sur les faits de la vie romaine dans des sources explicites et beaucoup plus dans des sources implicites ; il inclut des informations particulièrement copieuses sur les magistrats romains et les antiquités militaires, que l’on peut relier aux intérêts et à l’activité du destinataire, Dmine Papalić, qui possédait plusieurs charges municipales à Split et était aussi important en tant que commandant militaire. Marulić enrichit parfois les données de ses lectures avec ses observations personnelles, particulièrement sur la topographie et l’architecture locales. Les commentaires moralisateurs montrent de manière répétitive que l’auteur estimait beaucoup les standards moraux de l’antiquité : les exemples de vertu et de gloire sont mis en valeur, les procédures et les conceptions des païens rapportées dans les inscriptions sont comparées à celles des chrétiens, puis un choix acceptable en terme d’éthique est fait (pas automatiquement en faveur des exemples chrétiens).

L’auteur a consacré le Chapitre 8, Réception de l’antiquité non-textuelle : le paratexte de Solin et le Chapitre 9 : Péroraison, l’attitude envers l’antiquité, l’objectif de l’œuvre à étudier les amplifications littéraires de la collection qui pourraient à première vue être considérées extrêmement non-littéraires. Il avait déjà été observé (Stepanić 2007) que le paratexte de Marulić sur Solin est similaire aux descriptions des antiquités laissées par Francesco Petrarca, Pierre Paul Vergerius l’aîné et Poggio Bracciolini : la laudatio urbis de Marulić, la description élogieuse du Palais de Dioclétien, est une expression évidente d’admiration pour les anciens monuments de sa ville natale. En plus du contexte générique, l’auteur considère la composition et le matériel lexical de la description du Palais (surtout l’utilisation de termes architecturaux), identifiant les composants essentiels de l’érudition littéraire du panégyrique de Marulić : il est nécessaire d’apprendre à regarder et d’apprendre à parler si l’on veut reconnaître correctement ce que nous pensons être les valeurs du sol natal. Les indications d’une dichotomie caractéristique quant à la vision du monde eu égard à l’antiquité et à la Chrétienté – dont l’équivalent se trouve dans la dichotomie sur la poésie visible ailleurs dans ses œuvres, particulièrement la poésie latine – sont fermement mises de côté dans le dernier paratexte d’In epigrammata : avec une concentration de hautes figures de styles, Marulić y prône les vertus chrétiennes qui surpassent les vertus païennes sous tous les aspects, et la récompense céleste que Dieu accorde est présentée – contrairement à ces récompenses terrestres passagères mentionnées dans les anciennes inscriptions – comme la seule qui mérite les efforts des Chrétiens puisqu’elle est éternelle.

Toute discussion du but de l’œuvre doit partir de la dédicace : Marulić y déclare avoir écrit In epigrammata à la demande de son ami Dmine Papalić, dans l’espoir de lui permettre de comprendre le contenu des anciennes inscriptions aussi bien que possible. En outre, Marulić voulait montrer que, eu égard à la hiérarchie des valeurs morales, le monde antique a erré en élevant des monuments à la renommée terrestre. Il est possible de distinguer des buts éducatif et propédeutique dans l’œuvre, inhérents au genre du commentaire. Les explications de Marulić contiennent des instructions pour lire les inscriptions, des données sur plusieurs aspects lexicaux du latin et sur divers faits concernant l’histoire, la religion, l’administration civile et militaire, etc. romaines, toutes de valeur à l’époque, et In epigrammata pouvait ainsi servir d’ouvrage de référence pratique pour le lecteur qui s’intéressait aux antiquités au début du 16e siècle. Lorsque c’était déjà un travail fini (voir le mot FINIS sur le f. 63v), il a ajouté la section Salonis postea repertum, ne pensant probablement plus à l’imprimer : cet ajout dérangeait un tout soigneusement composé, et toute future décision de publier aurait demandé une refonte de l’ensemble et une nouvelle copie au propre.

La seconde partie de cette thèse, l’Appendice, dont la première partie, l’étude, est inextricablement dépendante, contient l’editio princeps d’In epigrammata priscorum commentarius de Marulić, préparée sur la base de l’autographe de la Bodleian Library (O). L’écriture de l’autographe a été scrupuleusement respectée dans l’édition : les parties du texte écrites à l’encre rouge sont reproduites en gras, les parties soulignées du texte le sont aussi dans l’édition ; les textes des inscriptions sont rapportés fidèlement et sans aucune intervention, tandis que les paratextes et les commentaires de l’auteur sont édités de la façon habituelle : les principes modernes sont adoptés pour l’écriture des majuscules et des signes de ponctuation et les abréviations sont développées sans parenthèses (la seule abréviation qui n’est pas développée est S. pour Sanctus). Comme l’édition est basée sur l’autographe de Marulić, les caractères de sa graphie ne sont pas changés sauf dans deux cas : le i longa est rapporté comme un i ordinaire, ainsi l’édition porte ii au lieu de ij ; l’apex de Marulić sur la préposition á est omis, l’édition portant simplement a. La numérotation des section (en chiffres romains) et des inscriptions et paragraphes (en chiffres arabes) est due à l’éditeur. L’édition est munie d’un apparatus criticus et d’un apparatus fontium.

Dans le contexte de l’œuvre de Marulić, In epigrammata s’avère être un texte qui se démarque par son individualité en terme de thème, de genre et de conception du monde. C’est aussi un ouvrage qui, par ses caractéristiques internes et sa place dans l’histoire du genre, dépasse sans aucun doute le cadre des études de Marulić et des études nationales. Une des plus anciennes collections épigraphiques accompagnées d’un commentaire dans l’Humanisme européen, In epigrammata mérite certainement d’être davantage étudié par les érudits de Croatie comme du monde entier.

Mots clés : Marko Marulić, In epigrammata priscorum commentarius, réception de l’antiquité classique, épigraphie humaniste, lexicographie humaniste, commentaire, laudatio urbis, édition critique.

(Traduction d’Ivan Kraljić d’après la traduction anglaise de Graham McMaster).

Nouvelle édition croate de l’Institutio

L’académicien et éminent marulologue feu Branimir Glavičić (1926-2010) a publié à titre posthume une nouvelle édition croate du De institutione bene vivendi per exempla sanctorum : Upućivanje u čestit život po primjera svetaca, Zagreb : Nakladni zavod Globus, 2010 (ISBN 978-953-167-211-5). Il s’agit d’un grand volume de 614 pages comprenant la traduction en croate de l’édition anversoise de 1593 ainsi que des extraits en latin.

Glavičić avait déjà traduit et édité l’Institutio dans le cadre des œuvres complètes de Marulić (Split : Književni krug Split, 3 tomes 1986-1987). La traduction croate de la nouvelle édition diffère peu de cette précédente traduction.

On regrettera que le livre ne comporte pas l’intégralité du texte latin mais seulement des extraits, ce qui le confine presque uniquement aux croatophones. De plus, la largeur des paragraphes (environ 90 caractères par ligne) ainsi que le renvoi des notes en fin de chapitre rend la lecture un peu fastidieuse.

Pour une édition latine complète, on se reportera donc toujours à l’édition en trois tomes faisant partie des œuvres complètes de Marulić, publiée à Split par le Književni krug Split (1986-1987).

Éditions anciennes numérisées

On trouve sur internet plusieurs éditions anciennes de Marulic numérisées ; en voici une liste probablement non exhaustive :

Evangelistarium

Institutio

Autres